Dossier «L'Affaire du RER D» — Le Monde Fermer la fenêtre

A la Une

La chronique d'Eric Fottorino
Les risques du métier
LE MONDE | 14.07.04 | 12h42

Marie l.  n'était pas juive. Pas même pendant les treize minutes de son agression imaginaire par de prétendus loubards de banlieue, prétendument d'origine maghrébine et africaine. Marie L. a tout inventé. La scène du RER. Les insultes antisémites. Tout. Et nous avons relayé, amplifié cette fabulation. Y voyant la signature de l'horreur et de l'inacceptable.

Ses blessures au cutter, la jeune femme se les est portées elle-même. Ses vêtements lacérés ? Mise en scène. Les croix gammées sur son ventre ? Simulacre accompli, semble-t-il, avec l'aide de son compagnon.

Devant ce désastre de l'information, le fait que tout le monde, du président de la République aux médias, soit tombé dans le piège ne saurait nous consoler. Ni nous absoudre.

Les réactions de lecteurs ne manquent pas d'arriver, nous demandant si nous avons soudain oublié les règles élémentaires de notre métier. "Vérifier et croiser ses sources... Revenir au sens de la mesure et se garder de l'ubris... Faire un travail de journaliste, en somme...", comme nous l'écrit, par exemple, par courriel, Guillaume Zeller.

Un autre lecteur, M. Papail, réagissant à notre chronique "Méthode de nazis" parue lundi (Le Monde du 10 juillet), nous reproche d'avoir sombré "dans le catastrophisme ambiant", ajoutant même : "C'est vrai que cela se vend bien",et nous renvoyant à la lecture des Illusions perdues pour nous reconnaître dans les travers des journalistes parisiens de l'époque balzacienne.

Ecrire dans l'instant, dans l'émotion de l'instant, c'est la tâche du chroniqueur. On ne saurait regretter une émotion sincère devant un fait donné pour avéré. Dénoncer un acte antisémite était notre rôle, notre devoir.

A condition qu'acte antisémite il y ait eu. Or il ne s'est rien passé. Absolument rien d'autre qu'une poussée de mythomanie incontrôlée que certaines sources policières n'ont pas décelée à la base, informant l'Etat au sommet, puis la presse, avant même que l'enquête ait livré sa vérité, la vérité.

Les lecteurs sont en droit de reprocher aux journaux d'avoir emboîté le pas et donné de la voix dans le sens de l'indignation. Inutile d'entrer dans la polémique de la poule et de l'œuf.

Qui le premier a crié au loup ? Qui a commencé ? La police laissant filtrer une information non contrôlée ? Les politiques se jetant sur l'affaire avec les accents unanimes de la condamnation ? Les médias – nous – imprimant lundi, avec des mots qui restent, une vérité supposée qui déjà se retournait contre la vérité vraie ?

Peu importe. Si les valeurs en jeu n'étaient pas si graves, avec cette exacerbation des haines communautaristes, l'histoire serait presque risible. Comment une jeune femme plainte par un pays entier, recevant la sollicitude de tous, choyée par une secrétaire d'Etat, inspirant à l'hôte de l'Elysée comme à celui de la place Beauvau des communiqués à encadrer sous verre, bref, comment une fille comédienne jusqu'au bout des ongles se retrouve en garde à vue ?

Pour autant, le doute qui aurait dû nous guider ne saurait désormais nous paralyser. Se tromper, être trompé, voilà un risque du métier. Il faut l'assumer. Sans renoncer à s'indigner de nouveau si, demain, un véritable acte raciste comme il y en a tant et trop en France venait à se reproduire.

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.07.04